Nous sommes heureux·ses de vous informer de la réouverture temporaire avant
travaux de la Maison Dussac, à Piton Saint-Leu.
L’exposition en cours est
ouverte du jeudi au dimanche. Vien a zot !
Pavillon Martin
du dimanche 4 novembre au 2 décembre 2018
mercredi et jeudi
samedi et dimanche
de 10h à 12h et de 14h à 17h
ENTRÉE LIBRE ET GRATUITE
samedi 3 novembre, 18h00
« Nous reconnaissons les choses… nous ne les connaissons pas. »
Gilles Deleuze
À bien y regarder… marque un tournant dans le travail de Stéphanie Hoareau qui nous entraine dans un univers plastique où on ne l’attendait pas. Une exposition polymorphe qui oscille entre son et installation, dessin, porcelaine, et… la peinture. Stéphanie ose et s’affirme à travers un discours social et politique. Elle aborde la figure de l’artiste comme le portrait de famille tout en délicatesse et en maitrise du geste. Dans cette exploration, l’auteur s’interpose entre l’œuvre et son image, celle de l’enfant qu’elle a été et celle de l’artiste qu’elle est aujourd’hui. En plus de rendre compte d’une pratique pluridisciplinaire, À bien y regarder… est une invitation à la déambulation à travers un univers poétique et insolite où l’artiste joue de simulacres pour capter le regard de l’autre, l’image de soi.
Stéphanie Hoareau, à l’instar d’Augustin Berque, pour qui le paysage ne se réduit pas aux données visuelles qui nous entoure [mais] est toujours spécifié de quelques manières par la subjectivité de l’observateur, donne à voir une réalité exaltée par son imaginaire qui trouve sa source dans les racines même de l’artiste. Stéphanie Hoareau est née à Paris en 1982. C’est en 2004 que cette jeune Réunionnaise d’origine renoue définitivement avec l’île qui a vu grandir sa famille. Ce nouveau point d’ancrage donne lieu à deux installations fragmentées du paysage (Bélouve et Welcome Salazie - 2010). La peinture s’impose et domine dans ces paysages qui se déroulent en grandes installations semblables à des décors de théâtre dans lesquels le spectateur s’immerge. A la manière des paysages irréels et romantiques d’Adolphe Le Roy, Stéphanie déplie sous nos yeux des morceaux de l’île tant imaginée dans son enfance, vision suspendue d’un territoire en équilibre entre réalités et fantasmes.
De l’île, l’artiste scrute les plis et les replis avec une sorte d’introspection qui la mène à la rencontre des marginaux qui vivent dans la rue. Peindre la figure humaine, n’est-ce pas déjà marquer un intérêt à l’autre, à ce qui nous entoure et à soi ? À la façon d’une ethnologue, Stéphanie Hoareau s’immerge dans leur quotidien dans un souci de partage et d’échange. De ce travail de terrain surgit un ensemble de portraits intimes et pudiques, Eloge vagabond – 2015, des grands formats peints avec réalisme. Sans mise en scène, les figures nues sont exposées à notre regard et dans ce face à face déconcertant on accède à l’intériorité de l’être(1).
L’usage du portrait, figure majeure de l’art, revient de manière récurrente chez Stéphanie. Dans cette nouvelle série (en pied cette fois-ci), elle aborde la figure de l’artiste comme on se regarde dans un miroir. L’intérêt principal du portrait réside dans la représentation du visage, du regard. Puis ce sont les mains qui jouent de langage, la peau, la bouche. L’habit se fait parures, les étoffes et les draperies magnifient les sujets, renvoyant au deuxième plan le décor qui n’est plus que prétexte. Une composition travaillée dont l’objectif est d’attirer le spectateur dans un face à face. L’auteur nous rappelle qu’avant tout la peinture est un manifeste. C’est à partir de photographies prises avec l’accord et la complicité de ses modèles que Stéphanie Hoareau plonge dans le regard de ceux qui posent pour elle et fait de la peinture tout à la fois la preuve d’une réalité et celle de la création et de la liberté de manœuvre de l’artiste(2).
Des libertés, l’artiste ne se gêne pas pour en prendre. Dans son envie d’exploration, Stéphanie se tourne vers l’installation et le son. Mélangeant habilement des éléments insolites, elle génère un propos aussi humoristique que poétique posant un regard critique sur l’art contemporain, le statut de l’artiste. Une fois encore elle soulève la question de la marginalité et ouvre le débat quant aux stéréotypes, lieux-communs et autres clichés qui enferment si souvent l’individu dans des cases. L’œuvre se présente comme un ensemble de strates laissant, À bien y regarder… entrevoir des combinaisons complexes qui ne se livrent pas immédiatement. Une immersion dans une romanesque partition à regarder et à écouter.
Si Stéphanie Hoareau contrebalance les discours simplistes et s’affranchit des codes éducatifs et culturels qui ont forgé sa vision du monde, c’est pour finalement nous emmener sur les traces de son passé, entre ici et là-bas, entre hier et aujourd’hui. Réactiver la mémoire pour évoquer les souvenirs et se confronter à sa propre image d’enfant, c’est un des enjeux qu’aborde la plasticienne dans ses derniers travaux. A partir d’un corpus de photos de famille, l’artiste REconstruit des scènes de la vie quotidienne ; repas du soir, pique-nique et partie de pêche. Les personnages semblent les mêmes, mais À bien y regarder… on découvre que chacun est enfermé dans son petit bout de vie ; des regards distanciés qui ne se croisent jamais soulèvent le paradoxe du vivre ensemble et des complexités de la relation. La frontière est mince entre la réalité des images et la fragilité du souvenir. Il y a chez Stéphanie Hoareau, une notion documentaire dans le traitement du dessin : finesse réaliste, usage du noir et blanc, décors quasi absents qui floutent nos repères et diluent le contexte. Cela peut être partout et n’importe où. L’œuvre se présente comme un territoire morcelé invitant le spectateur à cheminer d’une image à l’autre, au gré de ses propres souvenirs d’enfance. Les fines plaques de porcelaine aux scènes mémorielles ne sont pas sans nous rappeler « la belle vaisselle » délicatement ouvragée de nos grands-mères.
À bien y regarder… se visite comme on glisse sur un fil, en équilibre. La richesse de la proposition formelle rythme la visite, les œuvres s’exposent l’une à l’autre, se succèdent, parfois se chevauchent. Dans cette quête identitaire, Stéphanie Hoareau soulève des interrogations, sans jugement ni polémique, elle ouvre le débat quant à l’image que l’artiste véhicule dans une société pétrie de préjugés troublant le visiteur qui ne sait plus ce qui est vrai et ce qui ne l’est pas.
Stéphanie Hoareau a fait de la peinture un médium de prédilection. Dès le départ, elle peint la part cachée de l’île de la Réunion en explorant ses paysages et ses habitants. En 2010, elle réalise une impressionnante vue de la forêt de Bélouve dont elle a accentué l’atmosphère mystérieuse et silencieuse. Formée de six panneaux mesurant chacun 1m50 de large, l’œuvre nous fait entrer, physiquement et mentalement, dans une forêt difficile d’accès située dans les hauts de l’île. L’artiste arpente aussi bien les paysages naturels que les paysages urbains : propices à l’observation d’un autre faune. En 2012, elle entreprend un projet d’ampleur consacré aux figures marginales de l’Île. Des hommes et des femmes dont tout le monde connaît les visages et les prénoms. Des individus qui vivent à l’écart de la société, suscitant aussi bien la méfiance que la fascination. Ils sont à l’origine de légendes puisqu’à leurs propos court une multiplicité de rumeurs, d’histoires et d’anecdotes. L’artiste est allée à leur rencontre, à Saint-Denis, au Port et ailleurs, instaurant avec eux une relation de confiance, par la discussion, l’écoute, la présence et l’entraide. Au fil des jours et des semaines, Charlotte, Jean-François, Jacqueline, Maximin et Elyse sont devenus les modèles que l’artiste a photographiés et dessinés. Elle s’est concentrée sur leurs visages, leurs aspérités, mais surtout sur leurs regards qui oscillent entre errance et profondeur. Stéphanie Hoareau prend le temps de rendre visibles celles et ceux que nous croisons ou que nous évitons soigneusement. Des photographies à la peinture, en passant par la sculpture et la vidéo, l’intensité des regards nous interpelle. La confrontation des regards, les leurs, les nôtres, produit autant de fascination que de malaise. À la marginalité de ses personnages, Stéphanie Hoareau préfère la liberté et la fragilité de leurs existences en rupture avec le réel organisé de la société.
Julie Creen, mars 2016
Originaire de la Réunion, Stéphanie Hoareau est née en 1982. Installée sur l’île, cette artiste se concentre davantage sur les formes d’expression graphiques (peinture, dessin, volume) tout en s’ouvrant à d’autres modes opératoires tels que l’installation et la performance. Son œuvre s’attache particulièrement aux problématiques du territoire et de l’espace, qu’il soit géographique ou mental. Son travail se situe « entre l’espace géographique réel et l’espace imaginé qui fait aussi référence au rapport corporel et existentiel, cet échange entre “regardeur et regardé”. Diplômée de l’ESA Réunion, elle a exposé ses travaux dans de nombreuses manifestations sur l'île ainsi qu'à l’orangerie du Sénat àParis (Outre-Mer Art contemporain), à la biennale de Dakar, à la Art Fair de Johannesburg, à l’I.C.A.I.O à l’île Maurice.
«On remarquera, à près d’un siècle de distance, les hasards d’une exposition. À quelques encablures de l’Orangerie du Palais du Luxembourg, Les Nymphéas, œuvre magistrale et testamentaire de Claude Monet, invitent au recueillement dans le musée de l’Orangerie sis dans le jardin des Tuileries. Point-là de comparaison, mais la filiation pour Stéphanie Hoareau existe, qui reconnaît l’influence pérenne du maître. Sam Francis, Joan Mitchell et Jackson Pollock, entre autres signatures, en leur temps eux aussi, rendirent hommage à « l’illusion d’un tout sans fin » qui bouleversa l’espace pictural pour préfigurer l’abstraction.
Le mot d’immersion revient à juste titre pour qualifier la perception de l’ensemble panoramique. Une immersion, certes engagée par le format, mais également par le parti pris elliptique et l’absence de ligne d’horizon. S’il y a héritage, chez Stéphanie Hoareau, il se situe dans la volonté de donner à voir la réalité d’un paysage en le déconstruisant. Sans prise au sol, ni accrochage mural, les six toiles de formats différents qui forment l’œuvre unique titrée Welcome Salazie « installent » en suspension un espace déployé. D’un tableau à l’autre, la ligne de crête parfois engagent un continuum, ailleurs le pervertissent. Matérialisée au sens propre, la succession des plans sert la profondeur de champ. Depuis l’horizontalité d’un premier plan jusqu’au dessin d’un relief qui se détache sur le ciel, la lecture ascendante s’impose. En écho, la couleur peu à peu se « dilue », d’abord presque saturée, et progressivement atténuée à mesure de la circulation de l’air. En point d’orgue, un fragment angulaire bleu perce l’horizon. « Ceci est la couleur du ciel » constitue une autre leçon.»
Arnaud Tran, commissaire d'exposition de O.M.A.
« Pourquoi abandonner le dessin à quelques nostalgiques qui en prônent un usage normatif et rêvent de retour au « beau métier » ? demande Conte et il poursuit : « Ne soyons pas frileux, prenons le dessin à bras-le-corps, sans complexe, et dessinons avec ce que bon nous chante. » C’est bien ce que propose Stéphanie Hoareau dans cette nouvelle série. En effet, après de très grands formats peints, des paysages ou de portraits d’inconnus, l’artiste se tourne vers le dessin sur de fines plaques de porcelaine, dans une série de scènes de genre mémorielles. Il était déjà question de mémoire, de racines, pour la grand forêt titrée Belouve, ici elle tente de restituer des fragments de souvenirs en partant de photographies de famille associées à la perception qu’il lui reste de ces moments de son enfance. Ainsi, la recomposition de la scène vise à restituer le sentiment réactivé en elle du moment vécu dont la photographie témoigne sans l’exprimer. Réinterprétation, recomposition de l’image, de la mémoire aussi, quelques anachronismes parfois. Stéphanie Hoareau se réinvente une mémoire, « plus proche de ses sensations de l’époque » dit-elle, comme si la photographie échouait à restituer le réel, comme si elle refaisait le chemin à l’envers, tant celui de son histoire personnelle, que celui de sa pratique pour revenir à l’œuvre authentique à partir de photographie. Le trajet inverse de celui décrit par Walter Benjamin : « Dans le cas de la photographie, par exemple, elle peut faire ressortir des aspect de l’original qui échappent à l’œil et ne sont saisissables que par un objectif librement déplaçable pour obtenir différents angles de vue » Ici c’est le dessin qui tente ce déplacement pour retrouver « le hic et nunc de l’œuvre d’art - l’unicité de son existence au lieu où elle se trouve. »
Les titres sont légers et innocents comme l’enfance : « Repas de famille » ou « A la pêche », mais le ton oscille entre légèreté et gravité, car le dessin recrée des situations ambiguës à partir de ces photos-souvenirs, un moment heureux ou malheureux, des atmosphères familiales où la situation peut être tendue, le malaise d’une sensation parfois. Mais il faut éviter le pathos, pointer le jeu des regards, souligner cet homme aux yeux perdus dans le vague, la présence de l’alcool, une jeune mère en amourée, il faut retrouver dans chaque image l’histoire d’une famille et la mettre à distance, réinventer des scènes montrant la complexité des relations familiales, parler de la cruauté de l’enfance, des tensions aussi. Mais les corps semblent flotter et les rapports d’échelle paraissent parfois étranges en l’absence des décors, restent les regards, les postures des corps mis en avant au détriment de la narration elle-même. On pense à la série de Massinissa Selmani : A-t-on besoin des ombres pour se souvenir ? ». L’artiste affirme : « Ce qui m’intéresse dans le dessin, c’est qu’il donne une certaine autonomie. (…) Il y a une dimension documentaire dans le dessin. »
Le support nous questionne aussi, pourquoi la porcelaine ? Pour sa rigidité, sa fragilité, le rapport entre finesse et dureté, son caractère précieux et éternel. L’image de la porcelaine renvoie aux arts de la table, aux métiers d’art, aux intérieurs luxueux. Le contraste est saisissant entre support et matériau, le crayon fragile qui s’efface à la cuisson ne laissant apparaitre que des ombres. Le passage au four produit en effet des altérations, des effacements non contrôlés, comme la mémoire elle-même, le souvenir en bribes, comme les relations humaines aussi où quelque chose échappe.
Dans cette mise en scène de la mémoire, cette réinterprétation du souvenir, la dialectique de l’ombre et de la lumière prend une forme légère et fragile dans ce dialogue du dessin et de la porcelaine, entre les éclats de mémoire et la photographie jaunie, où l’artiste pose une question existentielle… Le salut, sans doute, se trouve dans l’effacement, dans l’oubli, échec de la mémoire.
Isabelle POUSSIER
1 /CONTE R. (sous la direction de) (2009). Le dessin hors papier. Coll. Arts et monde contemporain, Paris : Publications de la Sorbonne. p. 11
2/ BENJAMIN W. (2003 - 1939), L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. Paris : Ed. Allia, p. 15
3/ Idem, p. 13
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