Nous sommes heureux·ses de vous informer de la réouverture temporaire avant
travaux de la Maison Dussac, à Piton Saint-Leu.
L’exposition en cours est
ouverte du jeudi au dimanche. Vien a zot !
Salle d'exposition temporaire, Stella Matutina
21 février au 4 avril 2021
Du jeudi au dimanche.
Visite libre de 9h30 à 17h30
Médiation de 9h30 à 12h et de 14h à 17h30
Sur réservation pour groupes et scolaires
reservation@fracreunion.fr
Pas de vernissage, conditions sanitaires
CV TATIANA PATCHAMA (261KO)
S’il y a des territoires qui tiennent à être chantés ou, plus précisément, qui ne tiennent qu’à être chantés, s’il y a des territoires qui tiennent à être marqués de la puissance des simulacres de présence, des territoires qui deviennent corps et des corps qui s’étendent en lieux de vie, s’il y a des lieux de vie qui deviennent chants ou des chants qui créent une place, s’il y a des puissances du son et des puissances d’odeurs, il y a sans nul doute quantité d’autres modes d’être de l’habiter qui multiplient les mondes.
Vinciane Despret
Déployer ses ailes au-delà du ciel
Cette installation propose aux visiteurs d’expérimenter des territoires invisibles mais perceptibles à l’écoute en matérialisant un espace subtil qui nous invite à cohabiter. Ces territoires sonores sont des espaces tissés par le chant des oiseaux. Déployer ses ailes au-delà du ciel est une réponse plastique à « Habiter en oiseau » de la philosophe Vinciane Despret, qui questionne la notion de territoire et de celle de son appropriation du point de vue des animaux. Elle aborde la relation riche et « complexe » que les animaux, et en particulier les oiseaux, entretiennent avec l’espace qu’ils habitent. Je comprends que les animaux ne perçoivent pas le territoire en tant que leur mais en tant que prolongement d’eux-mêmes. Cette relation inclusive au territoire façonne mon désir de cohabiter avec le monde. Ce lien invisible mais audible, qui unit l’oiseau à son espace de vie, est inspirant pour nous qui habitons le monde visible et tangible. J’aime l’idée qu’en parcourant le jardin de la Maison FRAC, nous pourrions traverser ces territoires et devenir ainsi une part des oiseaux qui l’habitent.
Tatiana Patchama
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De mains en mains
Dans cette poignée de terre se trouve ton avenir. Prends soin d’elle, et elle t’apportera la nourriture, les habits, l’abri et la beauté dont tu as besoin. Détruis-la, et c’est elle qui finira par te détruire.
Véda ancien, cité par Vandana Shiva (La Relève et la Peste, 2019)
Dès le départ, Tatiana Patchama pense la réception sensorielle d’une œuvre. Le regard bien sûr, mais la question du toucher prédomine. Elle emploie des matériaux communs, des mouchoirs en papier, des tissus, des éléments naturels. Les sculptures tiennent littéralement dans la main. Progressivement, l’artiste engage une convergence entre une pensée sensorielle et une approche du Vivant. Son jardin devient à la fois un observatoire et un laboratoire. Elle y prélève des corps d’insectes morts pour les customiser avec les fragments végétaux ou bien des pétales de fleurs. Tatiana Patchama fixe dans le temps les sculptures éphémères par la photographie. L’image vient archiver un geste. L’artiste pose ainsi la question de la beauté et de la répulsion en se demandant pourquoi un insecte est-il méprisé, tandis qu’une fleur serait admirée ? Par extension elle questionne ce qui est visible et ce qui l’est beaucoup moins. Par le collage, elle se joue d’un imaginaire collectif où les êtres vivants, qu’ils inspirent la peur ou une idée du romantisme, entrent en relation pour former des corps inédits. Il s’agit ainsi de dépasser les stéréotypes et les jugements pour ouvrir de nouveaux récits et de nouvelles empathies. L’hybridation entre l’insecte et le végétal propose non seulement une sacralisation de ces êtres, mais aussi la création d’êtres interespèces. Les œuvres expriment l’interconnexion qui existe entre toutes les espèces.
Les gestes vont s’amplifier dans le temps. Les sculptures qui tenaient au départ dans une main vont peu à peu se confronter à l’espace. Dans une stratégie de contamination organique, Tatiana Patchama transpose le monde végétal au moyen de matériaux textiles. À partir de graines collectées dans son jardin, elle réalise une série de dessins de formes cachées à l’intérieur des graines imaginaires (Totototal Off). Les dessins sont ensuite transposés en volumes mous et doux. L’artiste s’intéresse à la graine, ce tout petit élément végétal qui se déplace avec le vent, l’eau, les insectes ou les oiseaux. La graine devient une matrice qui va insuffler une dynamique à l’ensemble de son œuvre fondée sur une observation fine de la nature, de son fonctionnement, de ses formes, de ses cohabitations, de ses besoins. À partir de là, Tatiana Patchama va construire des paysages textiles explorant ce qu’elle nomme « la dimension malicieuse du Vivant. »[1] Elle s’inspire plus spécifiquement des adventices (en créole : les zoumines), les herbes folles plus communément appelées les « mauvaises herbes ». Malicieuses, têtues et résistantes, les adventices plantes poussent « là où on ne s’y attend jamais ». Si habituellement les humain.e.s s’obstinent à les domestiquer ou à les éradiquer, l’artiste nous invite à les laisser faire et à accompagner leur pousse. Du sol jusque dans les airs, les paysages textiles habitent l’espace d’exposition.
Les paysages textiles sont fabriqués de manière collective (Terrain Vague à Usage Poétique). Au départ, Tatiana Patchama fait un appel au don de vêtements de couleurs vertes. Petite à petit, les donnateur.trice.s se prêtent au jeu du travail d’atelier : déchirer les vêtements, préparer des motifs, coudre, rembourrer, etc. Au fil du temps, l’artiste est entourée d’un groupe de personnes qui manipule les matériaux, discute, échange, partage. La création se fait collective. Ce processus de création collective rappelle le quilting bee aux États-Unis. Cette tradition est née pendant la période esclavagiste, les femmes noires se retrouvaient pour s’entraider, pour coudre ensemble des couvertures (quilts) ou bien des vêtements. Ces réunions nt permis la survie de langues, de chants, de gestes, de traditions issues de leurs cultures respectives. Elles ont aussi permis la mise en œuvre d’évasions. Le quilting bee, aujourd’hui devenu une tradition américaine, représente un espace de liberté, de rencontre, de conversation et de mutualisation des savoir-faire. L’artiste active un même processus pour la réalisation de ses œuvres. Par là, les discussions mènent à une sensibilisation à l’art, à un plaisir d’être ensemble et de construire collectivement une œuvre. Tatiana Patchama pense que, « comme dans la nature, l’un ne va pas sans l’autre ». Ielles tissent des paysages hors-norme qui ont réclamé des heures, les jours et des semaines de travail. L’artiste apprécie particulièrement ce rapport étiré au temps qui correspond davantage à celui de la nature. Elle apprivoise aussi les accidents. Les petits gestes répétés engendrent des ruptures qui, pour elle, sont les véritables espaces de création, la part inattendue du projet initial. Le dessin original de l’œuvre se transforme avec « la part de l’autre ».
« Le modèle de développement et de croissance économique, le contrôle des entreprises et la cupidité économique ne sont pas seulement en train de détruire la nature, ils sont aussi en train de détruire notre humanité, c’est-à-dire notre capacité à faire preuve de solidarité, de compassion, et à prendre soin des autres. Mais aussi notre capacité à être entiers et vraiment humains, à vivre pleinement notre potentiel de bien-être et de bonheur. Nous sommes le sol, nous sommes la terre. »[2]
En 2018, l’Observatoire des tortues marines – Kelonia, invite Tatiana Patchama à réaliser une œuvre proposant une réflexion sur la présence massive des matériaux plastiques dans les mers et les océans. Pendant six mois, elle travaille cette fois à partir de milliers de bouteilles en plastiques récoltées. L’œuvre est pénible à fabriquer : physiquement et éthiquement. Au fil des gestes pluriels l’amenant à défaire les objets, l’artiste prend conscience des propriétés et de la portée des matériaux plastiques. La réalisation de l’œuvre a renforcé de profondes convictions écologiques. Elle réfléchit aujourd’hui à nos besoins, à une forme de décroissance quant aux productions humaines, à l’impact de ses choix sur l’environnement. Elle pose la question de l’action : comment agir ? Comment produire sans détruire ? Comment restituer de l’espace du Vivant ? Inspirée par les discours d’Hubert Reeves ou de Gilles Clément, elle consacre dans son atelier un espace important au jardin pour penser davantage à la cohabitation entre les espèces. Dans ce lieu végétal, Tatiana Patchama collabore avec celles et ceux qu’elle appelle les « ouvrier.e.s de l’ombre » : les insectes, les arbres, les oiseaux, les margouillats, le vent, la pluie, la chaleur. Elle réalise des sculptures à partir de feuillages, pratique des techniques de couture sur du papier, pense à une dématérialisation complète de l’œuvre par la création sonore. Elle souhaite revenir vers des techniques ancestrales en travaillant le fil, la terre ou les pigments. « Je me demande à quoi ressembleraient nos jardins sans escargots. Ou encore, ce que serait le monde si le silence venait à remplacer le chant des oiseaux. » De par ses questionnements, ses inquiétudes et ses engagements, Tatiana Patchama adopte aujourd’hui une pensée écoféministe : « La cause des femmes est celle de l’écologie et de la métamorphose d’un monde économique en une société antiéconomique ; cette cause est celle de l’espère humaine tout entière, et non seulement de son avenir meilleur : de sa possibilité d’avoir encore un avenir. »[3]
JULIE CRENN
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[1] Les citations de l’artiste sont extraites d’une conversation menée le 27 novembre 2019, à Saint-André, La Réunion.
[2] Shiva, Vandana. « La terre vivante, la Semence vivante, le sol vivant », in La Relève et la Peste #4. Bordeaux : La Relève et la Peste, 2019, p.45.
[3] D’Eaubonne, Françoise. Écologie et féminisme. Révolution ou mutation ? [1978]. Paris : Libre & Solidaire, 2016, p.183.
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